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Une grève marquante : Mammouth

Il faut imaginer la surprise des clients de la galerie marchande du Centre Alma en ce lundi 1er septembre 1975 : des caddies empilés les uns sur les autres empêchant de relever les grilles du Mammouth. Du jamais vu à Rennes, en pleine rentrée scolaire.

La décision d’une grève reconductible de 24 heures a été prise le matin même en assemblée générale convoquée par la CFDT et confirmée à 13h30 lors de l’arrivée des caissières. Pour la CFDT : « personne n’est à l’abri d’un changement d’horaire, d’une mutation, d’un avertissement ou d’un licenciement ». Le syndicat fait état « d’une multiplication des lettres recommandées ». Il semble surtout que ce soit la mise à pied d’un chef-traiteur de 64 ans, délégué CGC, qui a été perçue comme une remise en cause du droit syndical.

La réaction de la direction ne s’est pas fait attendre puisque dès le lendemain, quatre délégués sont assignés en référé par la SAMGS (Société armoricaine de magasins à grandes surfaces), en fait la société L’Économique de Rennes, pour « atteintes graves à la liberté du commerce et à la liberté du travail ». Le soir même le juge estime que l’expulsion des grévistes ne pouvait être demandée dans la mesure où ils se trouvent dans la galerie marchande et non dans le Mammouth. En revanche, il ordonne « la cessation de la voie de fait entravant la liberté du commerce par toute voie de droit et au besoin avec le concours de la force publique ». Les grévistes, qui ont 24 heures pour dégager les caddies, ne cèdent pas et s’installent pour la nuit dans la galerie marchande. On a pu craindre un affrontement lors de l’arrivée, vers minuit, d’une trentaine de cadres et d’agents de maîtrise. Il sera évité. Un comité de soutien, comportant de nombreuses organisations politiques, est aussitôt créé. Le but est de populariser la lutte et apporter un soutien financier. Afin d’échapper à une possible interpellation par la police, Loïc Richard et les délégués syndicaux peuvent se réfugier la nuit dans le magasin (propriété privée) du socialiste Jean-Pierre Planckaert !

Dans son édition du 5 septembre, Ouest-France relève « une volonté affirmée par tous de mettre fin au conflit ». Le journal est bien optimiste, on assiste au contraire à un durcissement du conflit qui fait tache d’huile. Le personnel de Bati-Décor se met en grève le vendredi, mais un accord est trouvé aussitôt. Deux réunions ont également lieu à Rallye, qui échappe à la grève. Le samedi, ce sont les salariés du Printemps qui rejoignent le mouvement et bloquent les portes du magasin. La solidarité s’organise et s’amplifie avec une fête populaire, organisée le dimanche sur le parking du centre Alma. Les employés temporaires ou à temps partiel, qui ne peuvent faire grève, donnent une partie de leur salaire.

Le mercredi 10 septembre, le conflit n’évoluant pas, environ 300 personnes manifestent en soirée sur les boulevards de la ZUP Sud. « Le défilé a attiré pas mal de monde aux fenêtres ». La manifestation sera suivie d’un fest-noz.

Le 12 septembre, « on s’organise pour durer », lit-on dans Ouest-France. Rien ne bouge en effet : « les grévistes donnent l’impression d’avoir serré les rangs ». Pour le journal, le sentiment d’une installation dans la grève est renforcé par le fait que « nombre de femmes faisaient du tricot ou de la tapisserie devant les grilles bloquées des deux magasins ».

La CFDT, désireuse de « montrer sa volonté de mettre fin au conflit » fait appel à l’inspection du Travail. Un début de négociation s’engage en présence d’un inspecteur. On sent également une réelle inquiétude chez les commerçants de la galerie marchande, qui assistent à une baisse considérable de la clientèle.

Le jeudi 18, la situation commence à s’envenimer. De brefs mais violents affrontements ont lieu. D’un côté des non-grévistes, aux cris de « Nous voulons travailler », soutenus par des cadres, entendent relever les grilles par la force ; de l’autre les partisans de la poursuite de la grève qui s’accrochent aux caddies. « Tant que de part et d’autre, on a utilisé, copieusement, les lances à incendie, il n’y a pas eu de sévices corporels trop graves, mais dès que certains ont voulu enfoncer ou se servir des barrages de caddies, il en est allé différemment » relate le journaliste d’Ouest-France, qui relève que deux jeunes femmes ont été blessées : une gréviste et une non-gréviste. Ces accrochages durent plus de deux heures, alors que les discussions se poursuivent à l’inspection du Travail. Finalement, près de trois semaines après le début du conflit, un accord est signé à 16 heures et Mammouth rouvre ses portes le soir-même.

Au Printemps, où aucun accord n’a été trouvé, la grève continue…

 

Manifestation organisée dans le centre-ville lors des grèves des salariés Mammouth et Printemps, septembre 1975.

Toutes les illustrations sont issues du don L. Richard, coté 34 Num.

Panneau d'information de la CFDT lors des grèves des salariés Mammouth et Printemps, septembre 1975.

Fest-noz organisé par le comité de soutien des grèves des salariés Mammouth et Printemps, septembre 1975.

Manifestation organisée dans la ZUP Sud lors des grèves des salariés Mammouth et Printemps, septembre 1975.

Une réunion syndicale à côté du Centre Alma lors des grèves des salariés Mammouth et Printemps, septembre 1975.